C’était lors de mon avant-dernier voyage pour Bamenda. Je m’étais rendue à Yaoundé pour trouver une nouvelle maison, je revenais dans la ville. C’était en 2014 et ce jour-là je me suis rendue à l’agence Amour Mezam de Biyem-assi pour prendre mon bus.
Après avoir contrôlé mon ticket et vérifier que c’était vraiment le car que je devais prendre, le contrôleur m’invitait à m’asseoir dans le car. J’hésitais tout d’abord avant de me décider à m’asseoir à l’avant dernière rangée. Deux jeunes femmes de moins de 30 ans montraient leur ticket et entraient dans le car pour regagner la dernière rangée. Une chose me frappait c’était le fait que l’une avait l’air faible et l’autre la soutenait et la couvrait du soleil avec un pagne. Les deux jeunes femmes parlaient anglais et on entendait à peine ce que la plus faible disait, elle chuchotait à l’oreille de sa sœur. Comme il est de coutume dans les cars qui vont à Bamenda, un homme entrait dans le car pour présenter ses produits aux passagers pour soigner diverses maladies. La sœur de la plus faible avait acheté un produit pour soigner le mal de ventre et le montrait à sa sœur.
Nous avions fait deux heures de voyage et les trente secondes suivantes je n’avais pas prévu ça. La plus faible devenait agitée pendant 15 minutes environ et sa sœur la calmait en patois. Elle retirait le pagne qui la couvrait depuis le début du voyage et semblait exprimer sa gêne. Face à cette situation sa sœur sortait une bouteille et lui donnait à boire. Les minutes suivantes elle était calme puis elle a commencé à respirer fort et sa sœur tentait de la calmer mais elle semblait étouffée et s’est calmée dix minutes plus tard.
Sans être inquiétée sa sœur admirait le paysage durant le voyage et moi qui observais la scène, j’ai vu la main de la plus faible tombée mais elle était toujours couverte de son pagne. Sa sœur n’avait rien vu jusqu’au moment où voulant faire la conversation avec elle, elle se rendait compte que sa sœur ne répondait pas. Elle touchait sa tête en lui parlant à nouveau et la deuxième main de la plus faible tombait à son tour. Elle me lançait un regard furtif avant de se rendre compte que les pieds de sa sœur étaient raides. Elle étouffait ses pleurs dans le pagne qui couvrait le corps de sa sœur pendant 5 minutes avant de poser son corps sur ses genoux. Les deux derniers sièges étaient mis au courant et un homme demandait à faire pipi et en profitait pour annoncer la nouvelle au chauffeur. Ce dernier nous demandait de garder notre calme pour ne pas semer la panique dans le car.
Sa sœur appelait des proches et parlait en patois toujours en étouffant ses pleurs, je pouvais entendre les cris au bout du fil avant qu’elle ne raccroche. Nous avions roulé encore une heure de temps et avions changé de trajet pour aller laisser le corps à la morgue du village où elles se rendaient.
Ce sont les pleurs à l’arrivée du car et le transport du corps par le chauffeur et des hommes dans la foule qui avaient alerté les autres passagers qui n’avaient cessé de poser des questions sur les circonstances du décès.
Aucune réponse, sa sœur en descendant du car avait éclaté en sanglots et semblait expliquer ce qui c’était passé en patois à la foule venue l’accueillir. Nous les avions laissé dans les pleurs et les lamentations. La suite du trajet était faite de tristesse et de silence jusqu’à notre arrivée à Bamenda. Il m’a fallu une semaine pour retrouver un sommeil profond et sept ans pour vous en parler.
Que son âme repose en paix