COVID-19 ET LES PETITS COMMERÇANTS DES RUES: UNE ÉQUATION DIFFICILE À RESOUDRE

Le mois de Juin est un mois important pour l’enfant. Il célèbre deux dates pour promouvoir les droits de ce dernier à savoir la journée contre le travail des enfants qui se célèbre le 12 juin et la Journée de l’enfant africain le 16 juin.

Thème de la Journée mondiale contre le travail des enfants par l'OIT

Il est presque 22h ce mois de juin au péage de Nkometou et une dizaine d’enfants proposent des bâtons de manioc, des plantains braisés et des safous aux occupants des différents bus qui viennent et partent. Ils sont âgés de 5 à 10ans et proposent leurs marchandises sans se soucier des mouvements des voitures et motos. Des scènes pareilles sont récurrentes dans la ville de Yaoundé. L’arrêt précipité de l’école au Cameroun pour cause de corona virus a forcé des milliers d’enfants à rester à la maison. 7,2 millions d’élèves et étudiants pour être exact selon l’UNESCO. En ce qui concerne spécifiquement le primaire, plus de 4,3 millions d’enfants sont concernés dont 47% des filles.  

Le thème choisi cette année à l’occasion de la célébration de la journée mondiale contre le travail des enfants est " COVID-19 :Protégeons les enfants contre le travail des enfants, maintenant plus que jamais." Une thématique importante vu le contexte de pandémie actuel en cours dans le monde. Sur ce plan, le Bureau International du Travail (BIT) estime aujourd’hui que 152 millions de filles et de garçons sont astreints au travail des enfants dans le monde. Ce chiffre inclut 73.1millions d’enfants âgés de 5 à 11 ans qui sont tout simplement trop jeunes pour travailler ainsi que 85millions de filles et de garçons âgés de 5 à 17 ans qui effectuent un travail dangereux. L’Afrique subsaharienne est la région avec la plus grande proportion d’enfants astreints au travail des enfants avec 21.4 %des enfants âgés de 5-17 ans (soit 59 millions d’enfants). 

Des enfants travaillant dans des carrières source Google

Pour le cas particulier du Cameroun, la dernière enquête nationale réalisée sur le travail des enfants date de 2007 et a été réalisée par l’Institut National de la Statistique(INS). Elle a révélé qu’en moyenne 27,9% d’enfants de 5 à 17 ans étaient astreints aux travaux à abolir, soit 1 673 184 enfants. Par ailleurs, 4,4 % des enfants de 5 à 17 ans, soit 266 594 enfants effectuaient des travaux dangereux, 71 % de ces enfants sont exploités dans l’agriculture, la pêche, la chasse, la sylviculture et la cueillette. Ceci explique que la grande majorité des enfants âgés de 5 à 17 ans astreints aux travaux forcés à abolir se retrouvent en milieu rural et ce, quel que soit le type d’activité. Et pour tirer la sonnette d’alarme, le gouvernement camerounais par la voix du Ministère de la promotion de la femme et de la famille a lancé une campagne de sensibilisation par sms pour lutter contre la violence en famille et le travail des enfants durant cette période.

Message de sensibilisation du MINPROFF par Sms

ll est difficile de comprendre qu’un parent, avec tous les risques qu’encourt un enfant seul de nos jours, laisse sa progéniture vagabonder à la merci de n'importe qui. Les enlèvements d’enfants sont légion au pays, les sacrifices, les meurtres, la vente des organes humains, les viols de ces derniers nourrissent la rubrique des faits divers de nombreuses parutions quotidiennes. Il y a quelques temps, un billet paru sur leblogdesalma, décrivait l’indignation de la bloggeuse face à des petites filles qui faisaient la manche au lieu-dit « rue de la joie » à Douala, à des heures tardives.

Avec la Covid_19, cette situation n’a pas changé. Bien au contraire, le départ en congé précipité des enfants pour cause de pandémie, a été l’occasion pour certains parents de vite les occuper en leur donnant quelques marchandises à vendre. Ils vendent les fruits, les caramels, les chips, l’eau, les fruits noirs et les safous. Ils sont âgés entre 5 et 10 ans et savent à peine compter l’argent et vous rembourser correctement. Ils vendent souvent jusqu'à très tard dans la nuit, à la merci des intempéries, des accidents sur la route et des violences diverses.

Au marché du Mfoundi, Maman Salomé, une vendeuse d'écrevisses explique avec assurance pourquoi elle n’a pas peur d’envoyer son enfant vendre « Il connait le marché. Je viens ici avec lui depuis qu’il a deux mois. Je préfère qu’il soit ici avec moi au lieu de se promener au quartier et déranger les voisins. Je le laissais au début, mais dès mon retour à la maison le soir les gens se plaignaient qu’il a cassé ci ou qu’il a fait ça. J’étais fatiguée des plaintes et j’ai préféré l’emmener avec moi. » Et en ce qui concerne la Covid_19 elle poursuit « J’ai vu dans WhatApp qu’ils n’ont pas la maladie non? ».

Les « Fake news » pullulent sur les réseaux sociaux et réussissent à convaincre les populations que tout ce qui s'y dit est vrai. Les fake news au Cameroun ont imposé à la population de croire à l’immunité des enfants face au corona virus. Pourtant un tour dans une clinique de la place permet de constater par la voix d’un pédiatre que « le plus jeune patient du corona virus est âgé de 2mois ». S’il est vrai que les enfants font moins la maladie que les adultes pour une raison encore inexpliquée de nos jours, il est aussi vrai qu’ils peuvent la transmettre à d’autres personnes.

Le Bureau International du Travail a envisagé que 2021 sera l’année décisive dans la lutte contre le travail des enfants. Il est donc important que soit mis sur pied des mécanismes pour offrir aux parents, une autre façon de les occuper tout en ayant le coeur en paix. Tout comme la célébration de la journée de l’enfant africain de cette année 2020 table sur un accès à un système de justice adapté aux enfants en Afrique, il serait judicieux que l’Organisation Internationale du Travail propose des centres de loisirs et didactiques gratuits pour enfants, accélère ses campagnes de sensibilisation dans les secteurs qui emploient les enfants et propose des lois, des sanctions et des amendes lourdes pour les auteurs.

Selon l’OIT et l’UNICEF, le COVID-19 pourrait conduire des millions d’enfants supplémentaires à travailler et faire disparaitre le fruit de 20 années de combat contre ce fléau. En temps de crise, nous devons agir pour que des millions d’enfants supplémentaires ne soient pas contraints de travailler en raison de la crise de la COVID-19.  Si la COVID-19 se poursuit, elle pourrait entraîner une hausse de la pauvreté ainsi qu’une augmentation du travail des enfants au fur et à mesure que les familles se retrouveront obligées d’avoir recours à tous les moyens pour survivre. Ce que confirme Henrietta Fore, Directrice générale de l’UNICEF quand elle affirme que « Lorsque la pauvreté augmente, que les écoles ferment et que la disponibilité des services sociaux est en recul, un plus grand nombre d’enfants se retrouvent poussés vers le monde du travail. Au moment où nous réinventons ce que sera le monde d’après-COVID, nous devons nous assurer que les enfants et leurs familles disposent des moyens nécessaires pour surmonter des épreuves similaires dans l’avenir. On peut changer la donne grâce à une éducation de qualité, des services de protection sociale et des meilleures opportunités économiques.»

Symbole de la justice

L’équation à résoudre pour lutter contre le travail des enfants et promouvoir leurs droits reste la pauvreté. Un parent pauvre pour survenir aux besoins de sa famille n’aura pas d’autres choix que de s’engager dans des travaux forcés et même ceux qui impliquent le travail des enfants. Un enfant pauvre devra abandonner ou ne jamais se rendre à l’école. Un enfant pauvre s’il n’est pas occupé à autre chose, à vendre près de son parent par exemple, peut voler, commettre un forfait. Une fois arrêté et remis entre les mains des forces de l’ordre, il devra faire face à la justice.

Sur ce plan, très peu de pays africains ont une législation spéciale et adaptée pour les enfants, ils sont très souvent jugés comme les adultes. 

Dans toute situation face à la justice les enfants devraient bénéficier d’une assistance juridique gratuite et qui garantisse que leurs droits soient pris en compte. Le thème choisi cette année à l’occasion de la journée de l’enfant africain qui se célèbre le 16 juin prochain est « Accès à un système de justice adapté aux enfants en Afrique ».

Si la Covid_19 persiste, le Cameroun devra faire face à un retard et un abandon des salles de classes par les enfants. Le pays devra faire face également à de nombreux enfants qui plongeront dans la délinquance. Une fois placés en détention dans les prisons pour adultes, ces derniers seront victimes de divers abus. Une descente à la prison de  Bamenda a permis de constater ce à quoi doivent se livrer les enfants incarcérés quand ils sont dans le besoin et face aux adultes. C’est dans cette optique que le 16 juin prochain, il sera question de plaider pour que:

-Dans toute situation face à la justice les enfants bénéficient d’une assistance juridique gratuite-et qui garantisse que leurs droits soient pris en compte;

 -Le système juridique soit adapté afin qu’un enfant ait une considération particulière. Cela signifie que la loi devrait d’abord le traiter comme une victime, en particulier pour les enfants vulnérables;

-Les lois établies considèrent comme dernière option, la détention d’un enfant. Et si tel est le cas, cette détention doit être de courte durée;

-Tout enfant qui recherche la justice soit traité avec sensibilité. Cela implique prendre en compte leur vulnérabilité et s’assurer qu’ils ne soient pas victimes de discrimination. Il est question d’adopter un système de justice adapté aux enfants;

-Les gouvernements mettent en place des alternatives à la détention d’un enfant. Ceci implique de considérer comme première option la réadaption et l’insertion pour les enfants;

-En cas de conflit avec la loi, les mécanismes doivent permettre aux experts en matière d'enfance d’être présents dans une affaire judiciaire impliquant un enfant.

Et ce n’est qu’ainsi que le Cameroun pourra atteindre la cible 8.7 des ODD et mettre fin au travail des enfants sous toutes ses formes, d’ici à 2025 et faire un pas de plus dans le respect de leurs droits.